3ème étape - de 5h à 11h30
Pascal ?..... J’avais à peine chuchoté son prénom une seule fois qu’il avait déjà un œil ouvert et s’était redressé sur le côté. Danilo était resté debout tout le temps sans bouger – je crois qu’il avait peur de plonger dans le sommeil s’il s’allongeait – la barbe de l’ermite et les yeux de Raspoutine, moi je m’étais allongé deux minutes pour récupérer un peu mais l’esprit était trop agité pour que le corps puisse se reposer…Quand Pascal nous a rejoint il avait encore les yeux gonflés de sommeil et la trace du gazon artificiel sur lequel il avait dormi tatoué sur le visage. Il était maintenant pas loin de cinq heure du matin, ça faisait 12 heures qu’on était sur les pistes et on attaquait seulement la deuxième moitié du parcours !
Malgré la fatigue et une reprise de guidon un peu difficile – les articulations étaient plus engourdies par l’humidité que par le froid - le vallon de Gilba, une forêt dense qui grimpe en douceur vers le Colle di Gilba à 1524 mètres s’est fait à belle allure, les changements de direction je pouvais les prévoir à l’avance mon gps ne s’éteignant plus – enfin.
C’était la fin de la nuit et visiblement les animaux noctambules rentraient chez eux : un cerf a traversé d’un pas tranquille la route forestière devant moi, à peine un regard curieux de sa part, les crapauds sautaient de ci de là, des musaraignes au nez tout pointu filaient devant ma roue…
Au sortir de la forêt, en traversant un hameau désert j’ai vu le soleil se lever, on s’est arrêté un moment et je crois que chacun d’entre nous à ce moment-là s’est dit comme moi : « ça y est, il va faire jour, on touche le bout, on va y arriver. » Et dire qu’on avait encore rien vu des difficultés qui nous attendaient !
La navigation commençait sérieusement à me chauffer, maintenant que le gps ne s’éteignait plus c’était tout simplement les traces et les pistes qui partaient en forme de patte d’oie qui me laissaient perplexe : d’abord parallèles mais sur des plans différents (en montée à gauche, tout droit sur le plat, en descente vers la droite) on ne savait qu’après une centaine de mètres si on s’était trompé ou pas. Rageant. D’autant que le gps affichait imperturbable qu’il fallait aller tout droit ! On a bien fait demi-tour quelques fois durant cette étape mais c’est « L’Infernotto » (le petit enfer), après avoir traversé le Po, qui nous a laissé le souvenir le plus mémorable. Sur 20 bornes il y a rassemblées toutes les difficultés qu’on peut s’imaginer : des descentes de chemins de pierres gros comme des moellons à peine tassé par des engins de chantiers, de la boue, des rivières naissantes qui courent sur des cailloux, des montées sableuses (du sable comme si on était à la plage !) et parsemées de bosses, des ornières, des racines,…On s’arrêtait parfois au milieu d’une longue descente, simplement pour laisser un peu les bras ballants, pour se regarder en pensant « jamais vu ça ! », pour se redonner un peu de courage pour continuer, chaque piste « normale » était un soulagement et un moment de répit.
On a croisé souvent Claudio sur son Africa Twin et Vittorio son collègue, on s’est retrouvé pour quelques photos dans la carrière (on a compris d’où venaient les pavasses qui servaient à tapisser les pistes…), où le soleil illuminait nos visages fatigués.
Dans la descente sur Torre Pelice on a rejoint le groupe de Giada avec lequel s’étaient agglomérés d’autres participants dont le gars en Yamaha XT5OO qui ne traînait pas non plus.
Torre Pelice a été pour nous une nouvelle fois l’occasion d’un complément du circuit hydraulique de l’embrayage de Danilo et on a encore une fois « chassé la bulle » (il en a appris des mots et expressions françaises au cours de ces quelques heures…) avant de poursuivre notre route pensant cette fois-ci que l’étape touchait à sa fin…
Avant d’arriver à Angrogna à seulement quelques kilomètres de là on a cherché (en fait on a tourné…) les traces que je n’avais ni sur ma cartographie gps ni sur les cartes au 1/25000è et le soleil qui nous chauffait un peu trop (et la fatigue aussi) faisait que c’est par élimination que j’avançais sur le parcours plus que par la navigation.
D’autant qu’à chaque montée de col on se disait que de l’autre côté ça devait être fini, Pascal avec son AC en pneus mixtes était épuisé et Danilo marchait à l’économie comme un pro. Le gps ne m’affichait pas encore le drapeau siglé « fine terza tappa », il était presque onze heures et je commençais à ne plus voir très clair. Et à chaque fois ça repartait pour une prairie qui se transformait en sentier forestier puis en route (et dans nos têtes on se répétait : « maintenant c’est fini… ») avant de redevenir descente pierreuse et piégeuse.
Le plus surprenant c’est que l’épuisement se mélangeait au bonheur d’être là et la fin qu’on attendait on la redoutait en même temps, je ne sais pas si un autre groupe a vécu ce qu’on a pu vivre dans la bonne humeur, dans le respect de l’autre en donnant le maximum. Avec Pascal et Danilo, rescapés qu’on était de deux groupes décimés et éparpillés par les aléas de l’épreuve c’est la meilleure équipe qu’on aurait pu imaginer !
Arrivés à Pomaretto vers 11h30 pour la troisième pause on a retrouvés Mireille et Nicolas un peu inquiets qui nous attendaient déjà depuis un bon moment, Claudio et Vittorio, le groupe de Giada et le gars en XT500 arrivés peu avant nous et quelques égarés. L’intendance de l’épreuve qui était sur le point de partir pour la quatrième pause (l’arrivée à Cesana Torinese) a même fait demi-tour (on était donc bien les derniers sur le trajet) pour nous donner de quoi boire et manger !
Comme à chaque halte Pascal s’est rapidement allongé pour dormir immédiatement, moi j’ai vérifié l’état de mon gps (j’aime mon Garmin quand il marche comme sur cette dernière étape !) et Danilo a téléphoné chez lui pour donner quelques nouvelles.
A l’heure qu’il était on aurait pu comme certains ne pas faire la dernière étape de deux heures, afin de rejoindre plus rapidement les autres participants à l’auberge à Cesana Torinese mais pour nous il n’en était pas question. Mais même les derniers, on a pris le temps de découvrir ces tracés superbes que sont la « Finestrelle » et la « Strada dell’Assietta », 30 km de pistes de pure beauté, une erreur de navigation (j’allais repartir vers Suza…), des bons moments de pilotage, une chute (et Pascal a encore relevé un bifaro…)
mais au final, quand on a quitté la piste et retrouvé – à quelques kilomètres de Cesana Torinese et après 26 heures depuis le départ de Priola – la route on pouvait lire sur nos visages empoussiérés le soulagement mais aussi la fierté et le bonheur de l’avoir tout simplement fait ce Hard Alpi Tour 2011.
GG

I had nothing to offer anybody except my own confusion. Kerouac